Le 13 août 1961, la ville de Berlin fut coupée en deux par le mur du même nom. Il endeuille subitement des familles et des amis. Mais le mur sépare également des supporters de leur club de cœur, le club d’une vie. Ainsi, des milliers de fans du Hertha Berlin se voient privés de leur passion. Une privation qui durera près de 30 ans.
Le mur de la « honte »
Il est important de préciser que ce mur, érigé par les soviétiques de l’URSS, avait pour but d’empêcher les berlinois de l’Est de se rendre à Berlin Ouest. Les gens vivaient sur deux planètes différentes. D’un côté Berlin Ouest, où la République fédérale allemande représentait la liberté, la création artistique, le sport, l’investissement des sociétés… La vie y était plutôt agréable. À l’inverse, Berlin Est se trouvait sous le contrôle de la police secrète appelée ‘Stasi ». La société était surveillée en permanence, le couvre feu a été instauré et la propagande du communisme fortement pratiquée. Mais le football est toujours là, bien que limité pour les citoyens de l’Est. Le Hertha se trouvant à l’Ouest, de nombreux supporters se sont vus dépourvus de leur club de cœur. Pendant près de trois décennies, ils se trouvent orphelins de leur club, ou presque.

Supporter un jour, supporter pour toujours
Au départ, lorsque le mur n’était que grillages et barbelés, quelques supporters bloqués à l’Est se faufilaient aux abords de la clôture afin de suivre de loin les matches et ainsi entendre les clameurs du Stadion am Gesundbrunnen, l’antre du Hertha située à quelques pas du mur.
« Dans les premiers jours, nous nous cachions près de la clôture. Nous pouvions toujours voir le stade. Nous étions environs une soixantaine avec une petite radio pour écouter les matches. Les commentateurs annonçaient le score mais nous n’en n’avions pas besoin. les acclamations suffisaient ».
Raconte Helmut Klopfleisch, fervent supporter du Hertha Berlin. Lorsque qu’ils entendaient la foule acclamer, Helmut et ses amis applaudissaient également. Malheureusement, leurs stratagème est découvert par la Stasi. Les autorités interdisent donc la présences d’individus à proximité de la clôture et déclare que l’amour du Hertha, qualifié de club « capitaliste » car évoluant à l’Ouest, est un acte de trahison.
« Lorsque le mur est devenu un véritable mur, nous ne voyons plus le stade et la police ne nous permettait pas d’être là »
Se rappel Helmut, dépité. Puis en 1963, le Hertha Berlin déménage à l’Olympiastadion, de l’autre coté de la ville, et le Stadion am Gesundbrunnen fut quant à lui détruit. Plus aucuns bruits, plus aucunes acclamations ou effervescences … Un des rares liens qui liait encore les supporters de l’Est au Hertha venait d’être rompu, coupé net. Dépossédés de club, les supporters se refusent à suivre le Dynamo Berlin, le club de la Stasi, qui s’avère être peu populaire malgré le succès qu’il rencontre (10 titres de champions d’affilés remportés entre 1979 et 1988). Les supporters du Hertha ne s’identifient pas non plus au TSC Berlin, devenu en 1966 l’Union Berlin. Certains fans décident de continuer à suivre le Hertha Berlin de façon clandestine. Un fan club est ainsi crée à Berlin Est par Helmut Klopfleisch : le « Hertha Society ». Évidemment illégal, les supporters des bleus et blancs prennent tous les risques pour continuer à suivre le Hertha :
« Je suis resté en contact avec le club par lettres. On m’écrivait pour me dire ce qu’il se passait. Nous nous rencontrions secrètement dans les bars. »
Des dirigeants, des entraîneurs et des membres du fans club se retrouvaient donc pour échanger sur ce club si important à leurs yeux.

Helmut Klopfleisch : l’extraordinaire supporter du Hertha
En 1994, Simon Kuper raconte à travers son livre « Football against the ennemi » l’histoire d’Helmut Klopfleisch, un fan absolu du Hertha Berlin. Helmut était un habitué du stade du Hertha, et son père l’accompagnait dès l’âge de 3 ans. Alors âgé de 13 ans, le mur de Berlin s’est mis en travers de sa passion. Outre la création du groupe de supporter vu auparavant, le jeune garçon supporte fièrement la RFA (Ouest) lorsque cette dernière rencontre la RDA (Est) lors de la Coupe du Monde 1974.
Il allait souvent voir les équipes du bloc de l’Ouest jouer des matches en Tchéquie et en Pologne (pays soviétiques). La Stasi avait constamment un œil sur lui. Un dossier reportant ses actes en détails était mis à jour fréquemment, comme lors de ce match Bulgarie – RFA où il était venu encourager les allemands de l’Ouest :
« Helmut Klopfleisch, par son comportement au match Bulgarie – RFA, à significativement endommagé la réputation internationale de la RDA. »
Ses actes lui ont valu un interrogatoire par le Lieutenant Hoyer, et Helmut aura l’audace de se payer la tête du Dynamo Berlin. Son amour pour le Hertha lui fit même perdre son emploi (il était électricien). Dans le livre, il avoue avoir le sentiment d’être une proie chassée jour et nuit. Par mesure de prévention, il était enfermé en cellule lorsque la RFA venait jouer la RDA à l’Est. Il connait plusieurs arrestations, notamment après sa rencontre avec Franz Beckenbauer.
« Mon meilleur souvenir de ces 41 années en RDA ? À chaque fois qu’une équipe de l’Ouest venait jouer à l’Est… elle gagnait. C’était si important pour nous. »
Helmut Klopfleisch fut reconnut par de nombreux fans et par le club du Hertha Berlin.

Un match pour l’Histoire
Le 9 novembre 1989 est une date que tout le monde ou presque connait. Il s’agit bien évidemment de la chute du mur de Berlin. Par contre, le 11 novembre 1989 est bien moins connu, mais il possède tout autant sa part d’histoire. En ce premier week-end depuis la chute du mur, une effervescence immense réchauffe la froideur de l’Olympischer Platz, l’adresse de l’Olympiastadion. Le Hertha reçoit le SG Wattenscheid 09 pour le choc de la 17ème journée de Bundesliga 2.
Une marée bleu et blanche s’amasse aux abords du stade et l’ambiance est à la fête. On célèbre bien entendu le football, mais également la liberté. C’est dans cette ambiance festive que va s’écrire une page d’Histoire. Le genre d’histoire où au final, le résultat du match ne compte pas vraiment. Pour des milliers de supporters du Hertha résidant à l’Est, c’est la délivrance. Pour la première fois en 28 ans, ils vont pouvoir prendre place dans un stade qui abrite un match du Hertha Berlin. Bien avant le match, le stade affichait déjà 30 000 spectateurs.
Le club prit la décision d’offrir, sur simple présentation de leur pièce d’identité, un billet à chaque personne venant de Berlin-Est et désireux d’assister à la rencontre. En quelques heures, le stade affichait complet et ce n’est pas moins de 15 000 citoyens de la RDA qui se ruèrent dans l’enceinte de l’Olympiastadion, arrivant avant et pendant le match. Officiellement, 44 174 spectateurs seront comptabilisés même si certains affirment qu’ils étaient au moins 60 000, soit 4 fois plus que lors du dernier match à domicile du Hertha. Les joueurs n’en croient pas leurs yeux, eux qui sont plus habitués à jouer devant 10 à 15 000 spectateurs.
« Lorsque nous sommes arrivés en voiture, nous avons vu de nombreuses personnes qui pleuraient de joie et qui nous acclamaient. Elles étaient simplement heureuse. »
Explique l’attaquant du Hertha Sven Kretschmer. Lors de l’avant match, pour la gloire d’un club réunifié, le speaker cita chaque district qui compose Berlin sous les acclamations d’une foule en délire. Le match ne trouvera pas de vainqueur (1-1), mais des milliers de supporters retrouvèrent leur club de cœur, l’amour d’une vie.

Le football transcende, dépasse même les limites qu’on peut parfois lui imposer. Il suscite autant de joie que de peine. Pendant 28 ans, certains supporters risquèrent leur vie pour suivre le Hertha. En ce 11 novembre 1989 à Berlin, le football à réalisé ce qu’il fait de mieux : procurer des émotions.