Engluée dans une situation inextricable avec Mediapro, la Ligue de Football Professionnel réfléchit à la possibilité d’attribuer les droits TV du groupe sino-espagnol à d’autres diffuseurs. Naturellement, les yeux se tournent vers les diffuseurs traditionnels que sont Canal + et Bein Sport. Pourtant, si la Ligue 1 veut maintenir son train de vie, un prétendant naturel apparaît : Amazon.
Dire qu’Amazon est un prétendant naturel pour tenter de conquérir les droits TV, certainement laissés à l’abandon par Mediapro, n’est pas le fruit du hasard.
Alors, pourquoi Amazon ?
Jeff Bezos, dirigeant d’Amazon, possède depuis toujours une vision long terme pour le développement de son entreprise. Les deux piliers de cette vision sont : des prix ultra concurrentiels, et la recherche constante de la satisfaction de la clientèle.
Afin de réussir dans cette stratégie, Amazon se doit d’être constamment en mouvement, de rechercher des nouveaux investissements afin de satisfaire ses clients. Le développement de la livraison par drone ou encore l’acquisition de supermarchés font partie notamment de cette stratégie.
Depuis maintenant quelques années, Amazon se tourne vers le sport. Détenteur de quelques matchs de grands championnats européens (Premier League notamment) et de NFL, le géant du numérique continue son expansion en tennis après avoir acquis un lot pour Roland Garros lors du récent appel d’offres (ndlr: Amazon diffuse des matchs de Tennis de l’ATP World Tour au Royaume-Uni ainsi qu’aux Etats-Unis). Tous ces événements sont diffusés sur la plateforme Prime d’Amazon.
Prime, créée en 2005, est essentiel au business model d’Amazon. En payant 50 euros à l’année, le consommateur est livré prioritairement, mais accède également à Prime music et Prime vidéo. En contrepartie, le géant du numérique collecte les données des clients afin de leur proposer les meilleurs produits, aux meilleurs prix, et au meilleur moment. Plus Amazon a de données, plus cela le rend efficace.
Le nombre de clients Prime vient d’ailleurs de dépasser le seuil des 150 millions. Amazon ne se satisfait pas de ce nombre et souhaite attirer toujours plus de clients. Le sport constitue un produit d’appel important pour Amazon.
Pourquoi Amazon et la Ligue 1 sont compatibles ?
Le contrat 2020-2024 des droits TV faisait rêver tous les présidents des clubs de Ligue 1. Au moment de l’attribution des lots à l’été 2018, la Ligue de Football Professionnel s’était félicitée de ce contrat, qui devait permettre de soutenir le développement du football français. Entre les lignes, ces sommes devaient aussi permettre de combler l’écart avec les autres ligues européennes majeures.
Avec ce nouveau contrat, la LFP doit recevoir plus d’1 milliard d’euros annuellement, pour la retransmission des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2, dont les trois quarts devaient provenir de Mediapro.
Mediapro, dans l’incapacité d’honorer ses échéances, fait peser un grand risque sur le football français qui voit ces recettes potentiellement se réduire.
Vincent Labrune, le nouveau président de la Ligue de Football Professionnel, rêverait d’obtenir un contrat similaire avec des acteurs autres que Mediapro. Seulement, Canal + et Bein Sport ne peuvent aligner les mêmes sommes que l’entité sino-espagnole. Les dernières négociations pour les droits TV de Ligue 1 démontrent que les deux chaînes historiques ne voulaient pas et ne pouvaient pas suivre les montants investis par le nouvel acteur. Enfin, la stratégie d’endettement menée actuellement par la LFP ne peut constituer une stratégie viable sur le long terme.
Jean Michel Aulas, président de l’Olympique Lyonnais, propose quant à lui une nouvelle vision de la diffusion de la Ligue 1 portée sur l’innovation.
Il invite “à réfléchir à un avenir, pour le football français sur les droits TV, qui soit plus en relation avec l’attente des supporters. »
Valorisé à plus de 1 600 milliards de dollars en bourse, Amazon possède tout à fait la capacité financière d’acquérir les droits de la Ligue 1 à des montants aussi élevés que Mediapro.
Obtenir ces droits TV constitue aussi pour Amazon une opportunité d’accroître son nombre de clients. Comme dans le cas des matchs de tennis ou des matchs de Premier League, si Amazon est amené à acquérir certains lots des matchs de Ligue 1, ceux-ci seraient diffusés via Amazon Prime. Cela devrait naturellement faire venir de nouveaux clients qui pourront, en plus de voir des matchs de Ligue 1, profiter de tous les avantages de Prime.
Enfin, l’avantage pour la Ligue de Football Professionnel réside dans la solvabilité financière d’Amazon. Cette dernière n’a rien de comparable avec celle de Mediapro dont les doutes sur sa capacité de paiement étaient connus depuis un long moment.
De nombreux connaisseurs du monde télévisuel dénonçaient la difficulté qu’aurait Mediapro à atteindre la rentabilité. Chez Amazon, la problématique est différente : La philosophie de Jeff Bezos n’a jamais consisté à être rentable rapidement. Il est prêt à admettre que certaines de ces activités soient déficitaires. Ce qui compte pour lui est d’arriver à une rentabilité globale sur le long terme.
Juridiquement faisable ?
Obtenir des droits de retransmission d’une compétition sportive en France est encadrée juridiquement. L’assemblée générale ordinaire de la Ligue de Football Professionnel, compétente en la matière, doit mettre en place une procédure comme le prévoit le code du sport, c’est-à-dire publique et non discriminatoire. Dans le cas où Mediapro défaillit, la LFP devrait rapidement relancer une procédure d’appel d’offres publique. Cela n’engendre pas de complications d’un point de vue juridique pour Amazon
Par ailleurs, la loi précise que la commercialisation des différents lots doit respecter les règles de concurrence. Enfin, la LFP se doit de refuser les propositions d’offres globales ou couplées ainsi que celles assorties d’un complément de prix.
Du côté des lois de la concurrence, Jeff Bezos devra être vigilant à ne pas fausser la concurrence du fait de la puissance financière de son groupe. Concernant l’abus de position dominante, l’inquiétude est moindre. La législation française est protectrice vis-à-vis des grands évènements sportifs et le géant du numérique possède une place minoritaire sur la retransmission d’événements sportifs en France et en Europe.
Cependant, acquérir les droits de retransmission de la Ligue 1 ne peut-il aboutir à des pratiques anticoncurrentielles sur d’autres marchés ?
Forcément, l’obtention par Amazon de lots de commercialisation pour diffuser certains matchs de Ligue 1 attirera d’autres clients qui profiteront des avantages du Prime. Sur de nombreux marchés (livraison, vidéos, vente,…), Amazon est susceptible d’obtenir une position dominante, d’en abuser, et donc d’être sanctionné pour non-respect du droit de la concurrence.
Quelle volonté pour Amazon ?
Depuis le début de la polémique entre Mediapro et la LFP, Amazon n’a pas communiqué sa volonté d’éventuellement combler la défaillance de Mediapro. Les éléments de faits sur la politique sportive de l’entreprise basée à Seattle ne permettent pas d’établir avec certitude qu’elle, dans le futur, pourrait concourir à l’achat de lots pour des matchs de Ligue 1.
En analysant l’ensemble des droits TV de retransmission sportive que possède Amazon, un point commun ressort : le caractère épisodique des diffusions.
Amazon n’apprécie pas particulièrement le système de vente des droits TV en Europe. Celui-ci oblige à conclure des contrats de 4 ans et à diffuser tous les matchs contenus dans les lots obtenus suite à l’appel d’offres.
A l’aune des difficultés que rencontrent les diffuseurs habituels en matière de retransmission sportive, se tourner vers un géant du numérique tel qu’Amazon semble être une opportunité. De nombreux obstacles jalonnent cette possibilité mais celle-ci reste tout à fait envisageable.