Plus les années passent, plus les incidents racistes se multiplient dans les tribunes des stades de football. Sans fournir des résultats mirobolants, les instances du sport tentent tant bien que mal de trouver des solutions. Un problème issu de la société à combattre par le sport.
Racisme ou racine ?
Dimanche 16 février, à Guimaraes, au Portugal. La nuit tombe alors que 25.000 personnes sont présentes pour assister à la rencontre entre le Vitoria Guimaraes et le FC Porto. Quand après l’heure de jeu et le second but des visiteurs, des cris de singes, scandés des supporters Vimaranenses, se font entendre. Et pourtant, aucun singe à imiter à l’horizon. La raison de ces cris ? Moussa Marega, l’attaquant noir de l’équipe adverse et auteur du dernier but. Cette scène est (hélas) devenu bien trop régulière, presque habituelle, sur les pelouses de football partout en Europe.
Mais cette fois-ci, Marega a dit stop. L’International malien, fou de rage, a pris la décision de quitter le terrain. Ni ses coéquipiers ni son staff ne le feront changer d’avis. Au lendemain de la rencontre, il se confie au micro de RMC :
Je me suis senti comme une merde, c’était une grosse humiliation pour moi.
Propos de Moussa Marega au lendemain des faits.
Comme Marega, ils sont plusieurs à avoir été victime de débordements racistes cette saison, notamment en Serie A : Romelo Lukaku, Blaise Matuidi, Mario Balotelli, Kalidou Koulibaly …
Chaque week-end ou presque, venues d’Italie, d’Europe de l’Est ou d’ailleurs, se multiplient les manifestations de colère des joueurs face aux insultes racistes. Un siècle après avoir connu la traite négrière et l’esclavage, il est toujours possible d’observer des scènes à caractère racial sur l’Ancien continent.
Racistes, oui, parce que justifier ces actes par une simple motivation à déconcentrer ou à énerver l’adversaire est hypocrite, inconscient. Comment expliquer que des joueurs de football noirs soient pris pour cibles par une centaine de supporters, abêtis, qui ne savent rien de l’Homme ? Comment expliquer à un enfant innocent qu’un joueur de football n’est pas sifflé pour ses performances mais pour sa couleur de peau ? Si toutes les raisons du monde s’y prêtent, rien ne semble changer pour autant.
Chaque saison, le même refrain. Dans les compétitions internationales aussi, les joueurs font face à cette facette raciste de l’Homme.
L’épisode date du mois de novembre 2019. Lors d’un match de qualification pour le compte du prochain Euro, des supporters bulgares prennent à parti de manière violente l’attaquant anglais, noir, Raheem Sterling, pendant une longue partie de la rencontre. Toujours ces mêmes cris de singes que l’on retrouvait déjà à l’époque où la tendance était aux short remontés et aux cheveux longs.
Plus grave encore, certains « pseudos-supporters » d’une équipe se mettent même à insulter les joueurs noirs de leur équipe. En début de saison, c’est ce qui est arrivé à Tammy Abraham, l’attaquant phare du club londonien de Chelsea. Nous sommes entrer en 2020, dans une nouvelle décennie, et pourtant la question du racisme dans le football est loin d’être résolue. Comme si cette triste blague avait été conçue pour perdurer dans l’espace-temps.
Alors que faire lorsqu’arrive ce genre d’événement ? Quelle décision l’arbitre doit-il prendre ? Comment réagir ? La réponse qui revient souvent sur la table est de sortir du terrain. Samuel Eto’o, l’ex-attaquant du FC Barcelone (2004-2009), victime de ces mêmes cris en 2006 sur la pelouse de Saragosse, avait voulu quitter le terrain avant d’y revenir sur la demande de l’arbitre et des joueurs.
C’est ce qui aurait pu arriver à Moussa Marega, dont les coéquipiers ont tout tenté pour le faire rester sur la pelouse.
Mes partenaires ne comprennent pas ma décision. Leur première réaction est d’essayer de me calmer, ils me connaissent très bien et savent que je peux faire des bêtises lorsque je suis énervé. Mais je leur dis qu’avec les insultes, je ne peux pas continuer.
Le soucis que soulève cette situation est le manque évident de soutient manifeste face à ce fléau persistant. Que ce soit de la part des joueurs, de l’arbitre ou simplement de la grande partie des supporters innocents.
Kylian Mbappé, le champion du Monde français a récemment confié pour le quotidien milanais la Gazetta Dello Sport, l’importance de faire face ensemble dans ce genre de situation.
Je suis d’accord (de quitter le terrain) si le tout le monde le fait. Les noirs et les blancs. Celui qui ne sort pas signifie qu’il accepte cette chose inacceptable.
Si le football rencontre autant de mal à se débarrasser du racisme c’est probablement parce que sa racine est encrée au fin fond des sociétés contemporaines…
Un problème sociétal
Il n’y a pas uniquement dans le sport où des scènes racistes sont observables. Dans les grandes surfaces, dans la rue, partout et ailleurs. On entend souvent dire que le football n’est autre que le reflet de la société. Force est de constater que dans ce contexte, la citation s’y prête parfaitement.
Si rien ne change c’est parce que les mentalités n’évoluent pas avec les générations. Tenter de raisonner une personne raciste est comme frapper dans un mur qui résonne vide. Tant que les gens continuerons à penser de cette manière, ces incidents risquent de se reproduire, et en parler pourrait probablement cultiver cette tendance raciste.
Mais comment combattre sans la parole si les actions exercées s’avèrent être inefficaces ? Il s’en va de même pour l’homophobie, exhibée à coup de banderoles dans les enceintes sportives. Le football a peut-être évolué à plusieurs niveau, notamment l’aspect purement sportif, mais la bêtise humaine, elle, reste fidèle à sa nature : inconsciente.
Le racisme concerne tout le monde. Pas seulement les africains, les chinois, les victimes, mais toute la population. Parce que ne rien faire se traduit par soutenir ces actes, aussi graves soient-ils. Alors pourquoi aucun mouvement collectif, dans le sport ni dans la société, n’est-il capable de changer les choses de manière notable ? Jean-Paul Sartre disait qu’un Homme c’est son époque, pourtant l’Homme traverse les époques, et le racisme avec.
L’être-humain est-il pour autant condamné à vivre avec, impuissant ? Comment faire pour lutter face au racisme ?
Des campagnes antiracistes pour se donner bonne conscience…
« Say no to racism ». Le célèbre slogan de la campagne anti-racisme lancée par l’UEFA en 2013 a fait le tour du Monde depuis. Et pourtant, quelles évolutions ?
Si l’instance de football européen se pose comme défenseur des Droits de l’Homme, ses résultats ne poussent pas à la standing ovation. Il en va de même pour ceux de la FIFA. Pour Jessim Mpeng-Backot, joueur au centre de formation de Boavista au Portugal :
Ces campagnes sont inefficaces. Il est important de mettre le doigt sur le problème et de le définir mais si derrière il n’y a pas de suite, c’est inutile
Beaucoup de mots, des belles paroles, plus que des actions concrètes et efficaces. En décembre 2019, la Série A annonçait une série de mesures pour lutter contre le racisme dans les stades. Dans la foulée, elle a dévoilé un triptyque, représentant trois singes peint par l’artiste Simone Fugazzotto, qui a créé la polémique sur les réseaux sociaux.
Toujours en est-il que toutes ces campagnes ressemblent à celles lancées pour le respect de l’environnement, avant qu’une nouvelle marrée noire de carburant ne se déporte sur les côtes. Souvent écoutées, jamais respectées. Seulement, tant que le problème persiste, l’Homme est en proie à se demander s’il utilise les bons outils de lutte.
L’Angleterre a réussi à vaincre le hooliganisme dans les stades en ciblant les personnes et en les sanctionnant. Pourquoi ne pas le faire pour les cris de singes et toutes les autres insultes homophobes ?
Propos de Jessim Mpeng-Backot, joueur au centre de formation de Boavista au Portugal
Pour avoir l’espoir de faire bouger les choses, il faut s’attaquer là où ça fait mal : les portes-monnaies. Dans une société de consommation, il n’y a rien de plus important que la recherche du profit, dans le football plus qu’ailleurs. Seulement, là encore, la curieuse impression de tourner en rond, puisque la décision d’infliger les amendes revient aux instances du sport, déjà pointées du doigt pour leur inaction. Seulement le passage à l’acte s’avère (comme souvent) plus compliqué qu’on ne peut l’imaginer. Si des sanctions économiques s’imposent, à qui les instances doivent-elles les faire appliquer ? Les clubs ? Faut-il reléguer une équipe dans une division inférieure ? L’empêcher de recruter ou bien de disputer les compétitions continentales ?
Derrière toutes ces mesures, ce sont les joueurs, le club, et tous les supporters qui se retrouvent punis à cause d’une minorité de personnes. Les instances ne craignent-elles pas les réactions virulentes de clubs, joueurs et supporters face à ce type de mesures ? Possible. Ont-elles réellement l’envie d’engager ce bras de fer ? Rien ne semble l’indiquer.
Alors à quoi bon lancer ces campagnes publicitaires si ce n’est pour se donner bonne conscience dans un terrain miné… Ici encore, les joueurs noirs apparaissent bien seuls, livrés à eux-mêmes.
La responsabilité médiatique
Dans cet environnement autour de tous ces éléments et de ces acteurs, il y a les médias. Depuis leur apparition au XIXe siècle et après, les médias ont toujours tenu un rôle important dans la transmission de l’information. L’évolution des mentalités est indéniablement liée à la ligne éditorial du média, à sa manière d’aborder un sujet.
John Ferreira, journaliste de sport chez BeIN sport France explique :
Nous passons à la télé et nous n’en avons pas toujours conscience. Notre parole a don c une portée plus importante que certaines personnes. C’est pour cette raison que nous devons profiter de cette exposition pour sensibiliser les gens.
Que ce soit la radio, la télé, le web ou bien le papier, tous jouent un rôle dans la construction des idées. Néanmoins, même s’ils se sentent concernés, les médias ne semblent pas réaliser tant d’efforts que cela. Toujours selon John Ferreira :
Aujourd’hui, la culture de l’info et le buzz priment sur des sujets sensibles comme le racisme. On a peut-être tendance à aller dans la facilité et à se laisser bercer quotidiennement par l’actualité avant de se faire réveiller par un fait raciste lors d’un match, vouloir le dénoncer et que le sujet ne retombe comme un soufflé…
En 2018, le joueur de Manchester City, Raheem Sterling, a ouvertement accusé les médias britanniques d’alimenter le racisme en Grande-Bretagne. En ligne de mire, deux articles du Daily Mail. Les deux évoquent les achats, pour plus de deux millions d’euros, des maisons par deux jeunes joueurs citizens, Tosin Adarabioyo et Phil Foden. Alors que l’article sur le garçon noir (Adarabioyo) se concentre sur sa dépense exorbitante sans n’avoir jamais joué en première division, l’article sur le second est différent. Phil Foden, 18 ans, blanc, est présenté comme un jeune qui prépare son avenir.
Pourtant, les deux ont utilisé leur argent dans le même but : celui d’acheter une maison à leur mère. Un traitement médiatique jugé « inacceptable » par l’international anglais qui n’a pas manqué de le faire savoir à travers un post Instagram.
Le racisme peut naturellement se cacher derrière un reportage, un documentaire, dans la façon de le faire et de véhiculer l’information. C’est en quelque sorte une forme qui tend à relever du domaine de l’inconscient. Comme disait Jacques Lacan :
L’inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c’est le chapitre censuré.
Si les médias ne sont pas le coeur du problème, ils peuvent en être l’une dessolutions premières, comme le reconnait John Ferreira :
Nous ne profitons pas assez de notre exposition, c’est clair, c’est même une évidence.
« A la télé, tu es touché, mais c’est encore plus fort sur le terrain. »
Comme de nombreux autres joueurs, Abou Malal Ba, international français chez les -20 ans a observé, lui aussi, une partie des supporters pousser des cris de singe à son égard. Né en 1998 dans les Vosges, il est formé à Nancy où il y découvre la Ligue 2 et la Coupe de France, avant de signer un contrat au FC Nantes jusqu’en 2023. Prêté à Aris, club de première division grecque cette saison, le joueur revient sur sa vision du racisme et sur les incidents déroulés lors d’un match de championnat face à Larissa, le 11 janvier dernier.
- Quels sentiments est-ce que tu ressens lorsque ça t’arrive ?
« Au début, tu ne réalise pas. Parce que tu es concentré. C’est très différent de le voir à travers la télé que de le vivre. Parce que le terrain, c’est comme une bulle dans laquelle tu es plongé. Et puis, passent quelques secondes, où tu comprends ce qu’il t’arrive. Que c’est toi qui est visé. Tu te dis simplement que c’est un truc de fou. »
- A cet instant, tu es surpris ?
« Très. Parce que je ne m’y attendais pas. Je ne pensais pas que ça m’arriverait un jour. Je l’avais déjà vu à la télé, avec Kalidou Koulibaly à Naples, par exemple. A la télé, tu es touché. Mais c’est encore plus fort sur le terrain. J’avais déjà réfléchi tout de même à que faire si ça m’arriverait un jour. J’avais pensé à sortir du terrain, mais c’est plus délicat en vrai. Prendre la décision de sortir du terrain, c’est toujours plus difficile qu’on ne le pense. J’ai été surpris, parce que j’ai toujours été très bien accueilli en Grèce. Cela ne va pas me faire changer mon opinion que j’ai des grecs à cause d’une minorité. »
- Tu as voulu faire arrêter le match, ça n’a pas fonctionné. Pour que ça cesse, la solution serait-elle de sortir ensemble du terrain ?
« Oui, j’ai voulu alerter les délégués de la ligue, qui sont sur le bord du terrain, afin qu’ils fassent quelque chose, qu’ils arrêtent le match. Ils ne l’ont pas fait. Surement parce qu’il restait seulement cinq minutes à jouer. La chose forte à faire c’est celle-ci, sortir. Mais tous les joueurs. Les blancs, les noirs…c’est une forme de soutient mutuel. Les joueurs doivent se soutenir entre eux. »
- Tu peux concevoir qu’en 2020 le racisme existe toujours ?
« Malheureusement c’est le cas, parce que les actions ne sont pas assez fortes. Faire des banderoles, des campagnes, c’est facile. Ce qu’il faut c’est éduquer les gens, dès le plus jeune âge. »
- Comment pourrait-on faire plus fort ?
« En premier, c’est éduquer. C’est le plus important. Pas uniquement dans le football mais partout ailleurs. A l’école, dans les centres de formation etc. Parce que le football est le reflet de la société, c’est le sport le plus populaire, le plus regardé. Certains pays banalisent le racisme, comme s’il était inscrit dans leur culture. C’est pour ça qu’il faut des sanctions lourdes. Pour avoir une chance de faire évoluer les mentalités. Arrêter les matchs par exemple. Malheureusement, ce n’est pas le cas. »
- Comment peux-tu expliquer que ce problème donne l’impression d’être banalisé ?
« Parce que le racisme est encré dans certaines cultures. Regardez en Italie par exemple. La Serie A a fait une campagne contre le racisme avec pour égérie des singes. C’est un véritable problème. C’est facile de dire de ne pas calculer, mais tu ne peux pas faire semblant. Le soucis, c’est que cette minorité de « supporters » reviennent la semaine d’après. Alors qu’il y a des caméras aujourd’hui dans les stades et qu’on peut identifier n’importe qui en un claquement de doigts. »
- Le racisme, de la bêtise humaine ?
« Complètement. On parle de bêtise humaine parce que ce problème n’existe pas uniquement dans le football mais aussi dans la société. Il faut éduquer les futures générations. Il y a une différence entre le supporter qui siffle et celui qui insulte. On les met souvent sur le même pied d’égalité, mais non. Les insultes racistes, c’est très grave ! »
- Les instances de football et leurs sanctions sont-elles inefficaces pour toi ?
« Oui. Les sanctions économiques sont minimes. Dix milles euros pour un club ? Ce n’est rien. Mais il y a une difficulté. Celle de savoir si à cause de deux idiots, on doit sanctionner tout un club ? Tout une équipe ? Tout le reste des supporters, des vrais. Là réside tout le problème. »
- Tu dis que le football est le reflet de la société. Parce que le racisme est partout ?
« Il est absolument partout. Il est quotidien. Certaines personnes en sont victimes chaque jour. C’est horrifiant. On le voit aussi dans la politique et la montée des extrêmes. Que ce soit en France ou ailleurs dans d’autres pays en Europe. C’est un soucis de mentalité avant tout. »
- Le racisme, dans son fond et dans sa forme, concerne tout le monde, n’est-ce-pas ?
« C’est ça. Tous les joueurs, supporters, tout le monde doit se sentir concerné. Même les blancs, alors que ce sont toujours les noirs qui en sont victimes. Il faut que tout le monde puisse lutter contre. Parce que la personne qui ne s’y oppose pas, indirectement, favorise son évolution. »
Une chose est sûre… Il y a encore beaucoup de travail à fournir au sein des différentes instances pour stopper ce fléau dans les plus brefs délais.
Article réalisé en collaboration avec Daysam MSADDAK.