Crise du Covid oblige, le football français, comme bon nombre de secteurs de l’économie, ne peut échapper à un régime forcé. Souvent critiqué, désigné comme le symbole de l’hyper capitalisme actuel et de la dérégulation qui l’entoure, le football doit entamer sa révolution au risque d’une catastrophe industrielle à venir. C’est donc l’ensemble de l’éco-système qui s’apprête à se serrer la ceinture.
Les footballeurs, dont les salaires font tourner les têtes, seront-ils prêts à consentir des efforts ? L’heure est aussi au dialogue social et l’Union Nationale des Footballeurs Professionnels, devra jouer un rôle prépondérant.
De l’avis d’une majorité des acteurs du football, la réflexion autour de la diminution des émoluments perçus par les footballeurs professionnels devenait inéluctable. Entre la crise de la Covid qui entraîne des revenus liés au « Match Day » inexistants, l’incertitude autour du litige MediaPro et une spéculation autour des rémunérations toujours plus grandissantes, il devenait urgent d’inviter cette question à l’ordre du jour.
La masse salariale pèse dans les finances des clubs, selon le rapport financier de la DNCG elle représente 54% des charges d’exploitation des clubs de Ligue 1 (saison 2018-2019). Un premier effort avait été consenti par les joueurs de L1 et L2 au printemps dernier. En effet, lors d’un accord cadre signé en date du 7 avril 2020, la décision avait été prise d’étaler les paiements des salaires de manière à soulager la trésorerie des clubs.
Aujourd’hui, les clubs aimeraient aller plus loin en venant diminuer les rémunérations des joueurs. A première vue rien d’étonnant (rappelons que le salaire médian en L1 en 2020 était de 35 000 euros et 8500 euros en L2). Toutefois il ne faut pas oublier que les footballeurs professionnels sont des salariés comme les autres ayant les mêmes droits que des salariés lambda. En effet, ces « super travailleurs » sont soumis aux principes cardinaux de droit social, il est donc impossible pour leurs employeurs de diminuer leur rémunération de manière unilatérale.
La rémunération est un élément essentiel du contrat de travail et ne peut être modifié qu’avec l’accord du salarié, ce dernier peut donc parfaitement refuser la modification de son montant de rémunération. La modification du contrat n’est possible qu’avec l’accord voulu du salarié. Dans les faits donc, rien n’interdit à un club de proposer une réduction de salaire afin de contribuer à l’effort collectif. Il ne pourra le mettre en place qu’avec l’accord express du joueur.
Alors que faire ?
A lire les différentes déclarations publiques, certains joueurs seraient plutôt enclins à cette solution, l’attaquant Montpelliérain, Andy Delort, s’est dit « Prêt à aider son club » mais est-ce le cas de tous ses compères ? Rare sont ceux qui ont pris la parole sur ce sujet, les négociations s’annoncent très compliquées. Au-delà de la réalité économique, l’autre enjeu est de ne pas créer des tensions entre les joueurs et leur direction qui pourrait fragiliser les résultats sportifs.

L’Union Nationale des Footballeurs Professionnels (UNFP), aura un rôle clé à jouer dans le déblocage de cette situation. En 2016, 96% des footballeurs étaient syndicalisés (tandis que le taux de syndicalisation en France ne dépassait pas 7%). Dans une communication du 12 janvier 2021, l’UNFP a fait part de sa position en invitant les joueurs à « discuter rapidement avec leur club pour envisager les modalités de réduction de leurs rémunérations afin de sauver le football français ».
Les joueurs vont-ils être sensibles à l’appel lancé par leur syndicat ?
Nous le verrons dans les prochaines semaines…la seule certitude est la réalité financière des clubs professionnels français. Il n’existe donc pas à l’heure actuelle de mécanisme contraignant permettant de réduire le salaire des joueurs de football en France. Voyons la problématique sous un autre angle.

Du côté de l’employeur, les clubs, la volonté première est de réduire cette masse salariale empêchant toute marge de manœuvre. D’ailleurs, on se rend compte que les présidents de Ligue 1 ont déjà à l’esprit quelques unes de ces solutions. Certaines n’étant pas réellement des innovations car elles étaient existantes dans le passé. Les dirigeants des clubs (dont Jean-Michel Caillot dans une interview au Monde) appellent de toute leurs forces à ce retour : celui du droit à l’image collective. Ce droit permet aux clubs employeurs de rémunérer joueurs ou entraîneurs pour l’utilisation de leur image dans un cadre marketing.
Quel intérêt pour les parties ?
L’article L222-2-10-1 du code du sport précise bien que dans le cadre de ce contrat relatif à l’exploitation commerciale de l’image, la relation employeur/salarié n’existe plus et que les sommes versées ne sont pas des salaires. Au titre des cotisations sociales, le sportif ne paye que la CSG et la CRDS. Même si sa protection sociale face à de nombreux risques est moindre, cela lui allège largement son imposition.
Mécanisme usitée au début des années 2000, il est supprimé par la loi de financement de la sécurité sociale en 2010. Ouvertement critiqué par beau nombre de parlementaires, ces derniers accusent les clubs d’avoir largement profité du système en créant des pertes importantes pour l’Etat. En 2017, la loi Braillard (ndlr: nom de l’ancien Ministre des Sports) réintroduit dans le code du sport la possibilité d’un droit à l’image collective. Pour l’employeur, l’impact n’est pas neutre. N’étant plus patron au regard de cette relation, il n’est plus redevable des cotisations patronales. Cotisations patronales largement décriées par les dirigeants de clubs de football.

Beaucoup plus encadré, cet article laisse peu de marge de manœuvre aux clubs. Contenu imposé à peine de nullité, vérification par les ligues professionnelles du contrat entre le salarié et le clubs et précisions à apporter dans la charte du football professionnel sont autant d’obstacles à surmonter pour que le DIC retrouve son lustre d’antan.
Par ailleurs, les clubs peuvent impliquer de plus en plus les salariés par rapport aux résultats et aux performances de l’entreprise. Tout cela via le plan d’intéressement. Néanmoins, l’hypothèse n’est que peu évoquée par les présidents de Ligue 1. La raison est simple. Les sommes versées au titre de ce mécanisme ne peuvent dépasser 20% du salaire brut annuel et 30 852 euros. Problématique quand certains salariés émargent à plusieurs millions d’euros annuels. Là où la formule peut se révéler intéressante, c’est bien pour les clubs de Ligue 2. Eux aussi pâtissent de la crise. Certains partenaires ne vont pas réduire les contrats. Même si les droits tv sont d’importance moindre, un effort sera aussi demandé à l’ensemble des salariés.
Un accord d’intéressement sera donc nécessairement plus adapté aux clubs de Ligue 2. Le contenu de l’accord est beaucoup plus libre et les modalités de versement de l’intéressement sont extrêmement variées, tant qu’elles conservent un caractère aléatoire. Par exemple, verser une prime de 20% à des joueurs salariés si l’équipe marque seulement un but au cours de la saison sportive ne présente pas réellement un caractère aléatoire et le plan ne pourra être validé par le ministère du travail.
D’un autre côté, les salariés peuvent chercher à réduire la pression fiscale à leur encontre. Un mécanisme bien connu est celui de l’étalement de l’imposition. Celui-ci permet à un contribuable d’étaler ses revenus sur 3 ou 5 ans et d’être redevable à hauteur de la moyenne des revenus des années prises en compte. Le sportif peut bénéficier de ce régime, à lui d’en faire la demande. Pour un sportif étranger, cela présente un intérêt certain en arrivant en France, surtout si c’est sa première fois dans l’Hexagone, car il n’est pas connu de l’administration fiscale française et il pourra alors bénéficier d’une imposition moins forte.
Le footballeur devra être particulièrement prudent en choisissant ce mécanisme car il peut se révéler défavorable si les calculs du redevable ne sont pas bons. Les clubs de Ligue 1, peuvent encourager leurs salariés à opter pour ce mécanisme. Dans une période ou ce sont plus les baisses que les hausses de salaires qui sont évoquées, ce mécanisme présente des intérêts moindres pour les joueurs.
Néanmoins, il a le mérite de prouver que des solutions peuvent exister fiscalement pour alléger la pression fiscale sur certains salariés bénéficiant de revenus importants et pouvant fortement varier à la hausse d’une année à l’autre. Juridiquement aussi, les clubs doivent pouvoir trouver des solutions. Ils devront être particulièrement inventifs dans les prochains temps s’ils veulent garder leur compétitivité et accessoirement leurs meilleurs joueurs car la concurrence, européenne notamment, est rude.