Arrivé en Bundesliga lors du dernier mercato hivernal, Ludovic Ajorque a trouvé chaussure à son pied. Humble, souriant, et avec la même bonne volonté qui le caractérisait au RC Strasbourg, le désormais géant du FSV Mayence s’est livré sur son nouveau quotidien de l’autre côté de l’Alsace. Entretien.
Son départ a été un crève-cœur pour les habitués de La Meinau. Ludovic Ajorque a connu une saison 2022-23 au tensiomètre très élevé, marquée par une lutte pour le maintien, avec Strasbourg, puis par une course à l’Europe, suite à son transfert à Mayence, cet hiver. Mis sur l’orbite quelques jours après son arrivée par son entraîneur Bo Svensson, Ludovic Ajorque a fait étalage de ses qualités de buteur lorsque son club était dans une forme olympique (deux défaites lors des douze matchs suivant la signature du français, ndlr).
Le plus grand attaquant de Bundesliga – la formule n’est pas galvaudée – a terminé la saison avec six buts et une passe décisive (en 18 matchs) sous ses nouvelles couleurs. Seulement, Mayence n’a pas su confirmer la tendance lors d’un printemps pourtant doré. Le FSV s’est finalement classé à la neuvième place (46 points), et à quatre unités d’une qualification en Ligue Conférence, au terme d’une Bundesliga échevelée jusqu’au bout. Le natif de la Réunion revient sur son actualité lors de cette interview, à l’aube de la reprise du championnat allemand.
Befootball : Comment vous-êtes vous acclimaté si rapidement dans une équipe et un championnat qui vous étaient inconnus ?
Ludovic Ajorque : Ils m’ont bien accueilli. C’est un bon groupe et un club familial, donc on m’a tout de suite mis en confiance. Je savais que je venais pour jouer le plus possible, et une certaine personne m’a mis à l’aise : « Titi » (Anthony Caci, son ancien coéquipier à Strasbourg, ndlr). Les français et francophones… J’ai été très bien accueilli et mis d’emblée dans la bonne direction.
Votre signature en Allemagne sonnait comme une évidence, tant les rumeurs évoquaient un départ outre-Rhin…
Il est vrai que j’ai eu beaucoup de contacts avec des clubs allemands. Une fois en Allemagne, il fallait choisir un club où il n’y avait pas de grands attaquants (par la taille). Il y en a toujours un dans les équipes allemandes, mais à Mayence, ce n’était pas le cas. C’est pour cela qu’ils sont venus me chercher (du haut de son 1m97, Ludovic Ajorque est devenu le plus grand attaquant de son club et de Bundesliga, ndlr).
Je recherchais quelque chose, et j’avais fait quatre ans et demi à Strasbourg. C’était le moment pour moi de partir. Quand Mayence est arrivé, j’ai pris contact avec eux, le coach (Bo Svensson), titi… Cela faisait six mois que Anthony était là, donc il m’a dit tout le bien du club. Je n’ai pas hésité.
En quoi le projet de Mayence vous a davantage séduit qu’un autre ?
On m’a fait ressentir que je venais pour jouer et faire le maximum pour l’équipe, l’aider à faire de bons matchs. Donc, dès que l’on vous dit “tu es performant, donc tu joues”, vous n’avez pas besoin que l’on vous dise autre chose.
Pouvez-vous vous remémorer votre arrivée à Mayence ?
Ça s’est passé très vite. J’ai eu des contacts avec eux, puis trois à quatre jours plus tard, j’étais là-bas. Il y avait un match face à Dortmund. Je suis arrivé la veille et j’ai dû tout faire rapidement pour pouvoir m’inscrire dans le groupe du lendemain. C’était une journée assez intense (il rigole), mais ça en valait la peine.
Comment décririez-vous l’équipe de Mayence dans son ensemble ?
C’est vraiment un collectif. Nous nous faisons tous plaisir les uns pour les autres. Nous nous entendons très bien et ça se voit sur le terrain. Personne ne triche, tout le monde va dans le même sens. Quand un est par terre, l’autre le relève, et franchement, c’est pour cela que nous avons fait une belle saison et que nous terminons à cette position-là. Bien sûr, nous aurions pu gratter un tout petit peu plus. Nous avons été contents de faire cette belle saison.
Y a-t-il un de vos buts, inscrit en Bundesliga, qui vous est inoubliable ?
J’ai bien aimé mon but face au RB Leipzig. C’est face à une grosse équipe et c’est un de nos meilleurs matchs. Nous l’emportons trois à zéro, là-bas, donc c’est ce but-là qui m’a marqué (voir ci-dessous).
Mainz's Ludovic Ajorque with a contender for Bundesliga goal of the season! pic.twitter.com/c76Xxz7wJ1
— DW Sports (@dw_sports) April 5, 2023
Le RB Leipzig, le Bayern Munich, Dortmund, Mönchengladbach ou encore le Bayer Leverkusen… Votre équipe a performé face à des cadors allemands cette saison. Lors de votre premier match en professionnel, auriez-vous imaginé être mesuré à de telles équipes ?
Non, pas du tout (il sourit). C’est vrai que quand j’étais à la Réunion, je ne pensais jamais faire une carrière comme celle-là. Affronter le PSG, Marseille, Lyon, Lille et j’en passe… Il y a des gros clubs en France. Pouvoir jouer ici (en Allemagne), contre le Bayern, Dortmund, Leipzig… Voilà, tout ça, ce sont des grandes équipes que je ne pensais pas rencontrer un jour. Aujourd’hui, je suis content de pouvoir le faire, mais ce n’est pas une finalité. Il va falloir continuer pour les affronter le plus de fois possible.
Avant votre signature chez les Rouge et Blanc, vous aviez connu une période de difficultés avec le RC Strasbourg. Pouvez-vous nous en parler ?
C’était un peu compliqué parce que je devais partir (l’été passé). Au début, je ne jouais pas beaucoup. L’entraîneur donnait du temps de jeu aux joueurs qui restaient à Strasbourg. J’ai disputé un ou deux matchs, et j’ai eu cette blessure plutôt bizarre au sternum. Il fallait que ça tombe sur moi. Donc oui, c’était une première partie de saison compliquée (un but en treize matchs avec le RCSA, ndlr), due à un transfert avorté et à une blessure. Quand on joue le maintien, c’est compliqué. Mentalement, c’est difficile. J’avais déjà connu ça, il y a deux ans.
« Des fois, il faut savoir dire au revoir aux personnes que l’on aime, et c’est ce que j’ai fait » expliquait l’ancien attaquant du Racing Club de Strasbourg.
Cette dernière a débouché sur votre départ d’Alsace…
On part au moment où on s’y attend le moins. Je pensais vraiment rester en janvier, partir en été, et finalement, l’approche de Mayence est arrivée. Nous avons beaucoup parlé avec Strasbourg. Je pense que pour eux, comme pour moi, c’était le moment de se séparer, de mettre fin à notre belle collaboration. Je me suis beaucoup amusé et j’ai pris du plaisir là-bas. Des fois, il faut savoir dire au revoir aux personnes que l’on aime, et c’est ce que j’ai fait.
Passer de la lutte pour le maintien en Ligue 1, à la course à l’Europe en Bundesliga… Il fallait se mouiller la nuque, non ?
Quand je suis arrivé, nous n’étions pas encore tout en haut. Nous avons enchaîné une série d’invincibilité qui nous a permis de grimper au classement. C’est autre chose, et c’est beaucoup mieux de jouer la course à l’Europe plutôt que le maintien. Ce sont deux choses à vivre en tant que footballeur. J’espère ne plus y avoir affaire jusqu’à la fin de ma carrière (il rigole).
Vous vous êtes ensuite totalement relancé en enchaînant les titularisations. Pourquoi Bo Svensson vous a-t-il accordé sa confiance aussi rapidement ?
Il m’a simplement dit que si j’étais performant lors des entraînements, et en matchs, j’allais continuer à jouer. C’est ce qu’il s’est passé (Ludovic Ajorque a été titulaire onze fois lors de ses douze premiers matchs, ndlr). Ici, il n’y a pas de préférence. Dès que tu es bon sur le terrain et que tu bosses bien, ça joue ! Il fallait montrer ses qualités et j’ai essayé de le faire du mieux possible, pour aider l’équipe. Jouer tous les matchs, il n’y a rien de meilleur pour un footballeur.
Pourtant, vous n’avez marqué que six matchs après votre arrivée. Ensuite, la machine était lancée…
J’ai essayé de faire le maximum. C’est vrai que les buts sont venus un mois plus tard, mais j’ai aidé mon équipe du mieux possible. Dans ma position, on doit marquer, mais j’essayais d’aider Mayence autrement, lors des déviations, des sorties de balles (il énumère)… Après que le premier but soit arrivé, j’ai enchaîné et ma confiance devant le but est revenue. Je suis très content de mon adaptation et de ces six premiers mois. Maintenant, il va falloir confirmer cela et faire une bonne saison.
Vous étiez déjà habitué aux ambiances festives à Strasbourg, au Stade de la Meinau. Quel est votre ressenti concernant celles d’Allemagne ?
Cela ressemble à Strasbourg. C’est proche de l’Allemagne et c’est vrai que ce sont des ambiances similaires. Il y en a de belles dans chaque stade et c’est quasiment complet partout. Ce que j’ai vécu à Strasbourg, et à la Meinau, je le vis en Allemagne dans tous les stades. Je ne suis pas dépaysé là-dessus.
« Quand tu vois que même Coman, Sané, Mané, ils défendent… Tu te dis que c’est le pays et la culture du football, ici, qui veulent ça. »
Est-ce le même constat pour la Mewa Arena (l’antre de Mayence) ?
Il y a une belle ambiance. Franchement, nous avons eu de bons résultats et il y a donc eu des guichets fermés (le stade possède une capacité d’environ 34.000 personnes, ndlr). Que demander de plus quand tu es joueur de football, quand ton stade est plein, qu’il y a une belle ambiance et que tu gagnes et enchaînes les bons résultats ? Rien, vraiment.
Quel adversaire vous a le plus impressionné sur les terrains de Bundesliga ?
Quand je suis arrivé, j’ai joué face à Dortmund (en tant que remplaçant), puis contre le Bayern Munich, en Coupe d’Allemagne, la semaine suivante. Nous avons perdu quatre buts à zéro. Je me suis dit ‘P*tin, c’était une vraie machine. Ils écrasent tout’. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment dit que c’était une grosse équipe. C’est celle qui m’a le plus impressionné. Mais en championnat, on les bat (victoire 3-1, avec un but de Ludovic Ajorque, ndlr) et les choses ont mieux tourné pour nous.
Et sur le plan individuel ?
En Allemagne, c’est le collectif qui prime, pas les individualités. Ils jouent tous les uns pour les autres. C’est vrai que, par exemple, le Bayern Munich a plus de qualités techniques que nous. C’est normal. Mais ça joue en équipe : ça presse ensemble, ça défend ensemble. Quand tu vois que même (Kingsley) Coman, (Leroy) Sané, (Sadio) Mané, ils défendent… Tu te dis que c’est le pays et la culture du football, ici, qui veulent ça. Bien sûr, il y a des gros joueurs à Dortmund, à Leipzig, mais ce sont les équipes, sur le plan collectif, qui m’ont le plus surpris.
Vous étiez en bonne position pour accrocher la septième place, significative de qualification en Ligue Conférence (C4), mais tout s’est effondré lors du sprint final. Racontez-nous.
C’est bizarre. Nous avons enchaîné dix matchs sans défaite, et puis nous avons eu un trou. C’est dommage, car il ne nous manque pas grand-chose à la fin. C’est comme ça. Nous avons vu qu’avec le match à Dortmund (lors de la 36e et dernière journée de Bundesliga), nous pouvions avoir des regrets. Mais bon, c’est l’histoire d’une saison. Nous avons laissé du jus dans les dix matchs précédents, face à des équipes qui jouaient leur survie. Je ne sais pas. Je ne peux pas l’expliquer. Nous allons apprendre de cette période-là pour la saison qui arrive.
Ironie du sort, votre saison en Allemagne débute et se termine face au même adversaire : le Borussia Dortmund. Seulement, lors du match retour (2-2), crucial dans l’issue du championnat, vous étiez suspendu. Comment l’avez-vous vécu, vu des tribunes ?
J’y suis allé oui, même suspendu. J’ai fait la route pour voir l’équipe jouer au Westfalenstadion (stade de Dortmund). Il y avait une grosse ambiance au début, mais bon, nous avons vite éteint ça malheureusement pour eux (il rigole). Nous avons fait un énorme match, et nous aurions pu, et dû gagner. C’était assez bizarre, les supporters du BVB fêtaient ça.
Ils pensaient vraiment gagner et célébrer le titre face à nous. Nous avons joué le coup à fond, comme face au Bayern. Nous n’avons pas choisi notre camp (il sourit). C’est vrai que j’aurais aimé jouer ce match et vivre ce genre de moment.
Malgré la déception d’une non-qualification européenne, qu’est-ce que vous retenez de cet exercice 2022-23 ?
C’était une belle saison de découverte dans un nouveau championnat. Il a fallu que je m’adapte à une nouvelle culture. Je finis sur une bonne note. Il y a six mois compliqués à Strasbourg, et six mois, ici, où c’était top. On manque de peu d’accrocher l’Europe, mais bon, je retiens le positif. Il faut maintenant avancer pour faire une autre belle saison.
Finalement, tout s’est bien terminé pour votre ancien club, le RC Strasbourg, qui s’est maintenu dans l’élite. Avez-vous suivi le dénouement de cette Ligue 1 ?
J’ai tout suivi. Je suis toujours Strasbourg. Je regardais leur match et j’étais supporter. Comme je l’ai toujours dit, Strasbourg a une place importante dans mon cœur : mon fils est né là-bas, j’y ai joué quatre ans et demi, j’ai débuté en Ligue 1…
Nous ne sommes pas loin l’un de l’autre, donc je peux faire le déplacement ! Je suis très heureux qu’ils soient restés en Ligue 1, pour mes potes qui jouent encore là-bas, et pour mes amis que j’ai, que ça soit dans le staff médical ou à l’intérieur du club.
Pour la saison prochaine, quels sont les objectifs que vous avez cochés ?
Individuellement, c’est de faire une saison pleine. Jouer et aider l’équipe de la meilleure des manières et marquer le plus possible.
Propos recueillis par Hicham Bennis